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14 juin 2017

Baudelaire au pays des Singes

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Après L’Enfer d’une saison (Editions de Fallois), où il imaginait les errances et les pensées du jeune Rimbaud dans une Bruxelles caniculaire, « au soleil des Hespérides », sur les traces de Baudelaire place Royale et à l’Hôtel du Grand Miroir, Jean-Baptiste Baronian s’est amusé à reprendre à zéro le dossier Baudelaire « au pays des Singes », i.e. dans la Belgique de Léopold II. Nombre d’essais ont été composés (et recopiés) sur ce séjour malheureux (1864-1866), qui se conclut par la crise d’hémiplégie de mars 1866, le début du calvaire, que le cruel destin lui inflige, ô ironie, dans l’église namuroise des Jésuites.

Avec ce livre aussi vif que plaisant, sans l’air d’y toucher, le très-érudit Jean-Baptiste Baronian met fin à quelques légendes tenaces. Ainsi, la belgophobie rabique du poète est d’emblée expliquée par la misanthropie avouée d’un écrivain qui se considère comme un paria, ulcéré de ne pas être reconnu par la critique … et fêté par de généreux éditeurs. « Ce livre sur la Belgique (…) est un essayage de mes griffes. Je m’en servirai plus tard contre la FranceJ’expliquerai patiemment toutes les rasions de mon dégoût du genre humain », écrit-il à Narcisse Ancelle dès le début de son séjour.

Malheureux en amour, horrifié par le monde industriel, écœuré par la comédie de Paris (et aussi terrifié à l’idée d’y affronter ses créanciers), déçu dans ses ambitions éditoriales (surtout quand il compare sa situation à celle du richissime Hugo), Baudelaire se réfugie en Belgique dans le but d’y faire un bon livre d’impressions sur le jeune royaume libéral, et dans l’espoir naïf d’y toucher le pactole. Cette excursion se métamorphose vite en enfer et, malgré le relatif succès de ses conférences au Cercle artistique et littéraire, Baudelaire sombre vite dans la dépression, faute de signer les mirobolants contrats qu’il avait imaginés. D’où, malgré l’amitié d’un Félicien Rops (qualifié de « seul véritable artiste »), sa rage pathétique à l’encontre de la « Grotesque Belgique » et de sa « capitale pour rire ».

 

Christopher Gérard

 

Jean-Baptiste Baronian, Baudelaire au pays des singes, Pierre-Guillaume de Roux, 19,50 €

 

Écrit par Archaïon dans Lectures | Lien permanent | Tags : littérature, pierre-guillaume de roux |  Facebook | |  Imprimer |

20 janvier 2017

Avec Armel Guerne

 

 

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« Depuis mon enfance – depuis que je savais vouloir écrire – je demande dans mes prières d’être le dernier d’une lignée de supérieurs, et j’ai toujours tout fait pour ne jamais être le premier d’un bataillon d’inférieurs. » Cette hautaine prière décrit à la perfection son auteur, le poète Armel Guerne (1911-1980), davantage connu pour ses étincelantes traductions de Hölderlin et de Rilke, de Melville et de Kawabata. Un prodige, en effet, qui traduisit sa vie durant les textes les plus difficiles, de l’allemand comme du chinois ou du japonais, et même du tchèque.

Deux germanistes, ses amis, lui rendent un hommage appuyé par le truchement d’un recueil d’études ferventes qui font mieux connaître ce contemporain quelque peu occulté. Né en Suisse, mais éduqué à Paris, Guerne eut une scolarité bousculée, puisque, mis à la porte par son père qui exigeait qu’il entreprît des études commerciales, il se retrouva à dix-huit ans, au collège de Tartous, en Syrie, lecteur de français… et professeur de gymnastique. Cet immense érudit, ce traducteur génial échoua à son bac et se lança, tout jeune, dans l’édition, la poésie et la traduction : toute œuvre exaltant la vie de l’esprit le passionnait. Sous l’Occupation, il cassa sa plume et rejoignit les réseaux du S.O.E. britannique, activité qui lui valut d’être arrêté par le SD. Il parvint à s’évader du train pour Buchenwald et, via l’Espagne, à rejoindre Londres, où il fit la douloureuse expérience du terrible jeu des services spéciaux. Le réseau Prosper avait-il été livré aux Allemands par ses commanditaires dans le cadre d’une opération de désinformation ? Quel fut le rôle des services soviétiques et de Philby ? Guerne sortit brisé de la guerre, accusé même d’avoir trahi – méchant procès dont il sortit blanchi. Le poète fit donc l’expérience totale : la peur, le doute, le mensonge, la trahison …

Rivalisant de fidélité, Charles Le Brun et Jean Moncelon, les auteurs du recueil, évoquent les multiples passions de leur ami, qu’ils définissent comme un prédestiné, une sorte de chevalier avide de lumière et perdu dans le monde moderne. Parmi ces passions, Novalis et la quête de l’unité perdue, Nerval et ses fascinantes visions, l’immense Melville, Paracelse et l’alchimie…

Armel Guerne ? Un Romantique au sens le plus noble. Ne composa-t-il pas ce magnifique volume, désormais classique,  Les Romantiques allemands (1956) ? N’édita-t-il pas un choix d’œuvres de Nerval ? Ne lui doit-on pas L’Ame insurgée, essai majeur sur le Romantisme ?

Un poète enfin, et non des moindres en ce siècle de bavards et de faiseurs, pour qui l’écriture était d’essence mystique, aux antipodes de toute futilité comme de tout délire  cérébral – celui-là même que, avec lucidité, il reprochait aux surréalistes. Ami du peintre Masson, de Cioran et de Bernanos, Armel Guerne considérait que l’Apocalypse, loin d’être à nos portes, était « entrée dans nos vies ». Plus antimoderne que cet ermite magnifique, vous trépassez, ami lecteur !

Poète au milieu des ruines, réfractaire absolu, Armel Guerne compte bien parmi les éveilleurs de l’Europe secrète. Ecoutons-le : « Une œuvre (...)  on doit se demander quel est son acte sur la terre ; et non seulement de quel esprit elle procède, mais aussi et peut-être surtout, dans l'angoissante tragédie de nos jours, quels esprits et quels cœurs elle encourage ou décourage. »

Christopher Gérard

Charles Le Brun & Jean Moncelon, Armel Guerne. L’Annonciateur, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 194 pages, 20.90€

 

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Envoi d'Armel Guerne (Hölderlin, Hymnes et élégies, Mercure de France)

Écrit par Archaïon dans Figures, Lectures | Lien permanent | Tags : pierre-guillaume de roux |  Facebook | |  Imprimer |

07 septembre 2016

Adios ou l'éloge du monde d'avant

littérature

 

Eloge du monde d’avant

 

Auteur d’un Dictionnaire élégant de l’automobile (Rue Fromentin), critique littéraire et de cinéma, Thomas Morales aime les actrices et les voitures des années 50, 60 et 70. Et les films d’Audiard, l’Italie d’avant Berlusconi, la BD et la télévision un peu nunuche de ces années-là. Une sorte de réactionnaire souriant à la mémoire d’éléphant, incollable sur les Alfa Roméo et Nathalie Delon, sur Michel Constantin et Claudia Cardinale, Pilote et de Playboy. Une encyclopédie du monde d’avant, dont il exalte la nostalgie dans Adios, recueil de chroniques parues dans Causeur, Valeurs actuelles ou Service littéraire. Sa devise ? In retro veritas. A le lire, on goûte cette sensibilité passéiste, nourrie d’une impressionnante culture : Ronet et Belmondo, les films de Philippe de Broca et de Michel Audiard, Paul Meurisse (alias Théobald Dromard), Blondin et Berthet, ADG et Malet, La Dame de Monsoreau et Les Brigades du Tigre, tels sont les personnages de ce roman antimoderne d’une France encore préservée de l’horreur techno-marchande, une France où le mot « identité » n’avait aucun sens, puisque tout le monde communiait dans la même liturgie.

Parfois forcée (les années 70 furent, quoi qu’il prétende, un modèle de kitsch aux antipodes d’un âge stylé), la mélancolie de Thomas Morales n’en demeure pas moins communicative, tant son talent d’évocation, qui est celui d’un artiste, fait oublier un instant de justes préventions. Philippe d’Hugues avait en son temps publié chez Bernard de Fallois une fort convaincante défense et illustration des 50’. Thomas Morales s’inscrit à sa manière dans cette filiation, une certaine naïveté en plus.

 

Christopher Gérard

 

Thomas Morales, Adios. Eloge du monde d’avant, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 172 pages, 17€

 

Voir aussi mon Journal de lectures :

 

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